Legacy of the Reanimator


Cadavres pas exquis

J’avais dit que je n’encombrerai plus ce blog de cthulheries, et puis j’ai reçu Legacy of the Reanimator. Hélas, mes bonnes résolutions se sont dissipées aussi vite que la rigor mortis quitte une majorette plus très fraîche.

Pour ma défense, je pourrai arguer que Reanimator n’est pas exactement une cthulherie, tout au plus une lovecrafterie, mais ce serait malhonnête, la réalité est que j’ai craqué plus vite que je ne m’y attendais.

Chaosium a publié cette anthologie en 2015, pour les 30 ans de Re-Animator, la série B de Stuart Gordon qui fait découvrir Lovecraft à tout un tas de gens, et a convaincu certains optimistes de lire l’homme de Providence, dans l’espoir d’y trouver des blondes à poil sur une table d’autopsie[1].

Comme chacun sait, les six récits d’origine nous présentent le Dr Herbert West, chimiste génial qui a, en toute modestie, déclaré la guerre à la Mort. Ses efforts pour perfectionner un sérum capable de ressusciter les trépassés débouchent systématiquement sur des désastres, racontés par un fidèle assistant que Lovecraft ne s’est pas donné la peine de baptiser.

La préface de ce recueil m’a permis de découvrir qu’il existait un tout « cycle de West » planqué à l’intérieur du mythe de Cthulhu, fort de dizaines de nouvelles et de plusieurs romans. Pour un truc dont le schéma narratif initial tourne autour de « deux hommes et une seringue », ça paraît beaucoup… et la lecture de cet échantillon confirme que ce n’est pas forcément suffisant.

Thought He Was a Goner, de Christine Morgan, nous présente un Herbert West âgé d’une douzaine d’années qui ne pratique pas encore la chimie. Sans aller très loin, cette amourette préadolescente avec supplément de sang et de cervelle se lit agréablement.

• Herbert West in Love, de Molly Tanzer, est présentée par l’anthologiste comme une histoire « subversive ». Son titre est surtout légèrement trompeur, parce que ce n’est pas West qui est amoureux, mais son assistant qui l’aime en secret. Le véritable point culminant de l’histoire n’est donc pas l’inévitable réanimation, mais l’unique baiser homosexuel de la littérature lovecraftienne[2].

• Herbert West – Reanimator, d’H. P. Lovecraft, est le feuilleton original. J’ai toujours eu une certaine tendresse pour cette histoire, toute kitch, répétitive et mal fichue qu’elle soit. Le Lovecraft du début des années 20 tâtonne encore, manie le macabre plutôt que l’horreur cosmique et n’est pas à l’aise dans le format du feuilleton, mais l’ensemble fonctionne, parce qu’il arrive à créer une atmosphère. Et l’animal arrive même à caser « cacodeamoniac » dans une description, ce qui n’est pas à la portée de tout le monde.

• The Horror on the Freighter, de Richard Lee Byers, donne à West l’occasion de croiser… le diabolique Dr Fu Manchu, que j’aime également beaucoup, mais l’incarnation du Péril Jaune est un méchant de thriller. Le macabre et le fantastique s’effacent donc au profit d’une histoire mouvementée, qui contient même un dinosaure dont on se demande vaguement ce qu’il vient faire là. Je suis le premier à m’insurger contre les boîtes trop étroites, mais l’hybridation est un exercice délicat, et certains mélanges sont plus gerbogènes[3] que d’autres.

• A Man Called West, de Ron Shiflet et Glynn Owen Barras, jette le macabre à la poubelle et propulser Herbert West dans le plup policier avec supplément d’action. Un ancien taulard signe pour servir d’assistant à West sans savoir à quoi il s’engage. De son côté, un privé cherche qui a volé le cadavre de sa bien-aimée… La collision entre les deux, spectaculaire à souhait, nous donne une nouvelle naze, mais sympathiquement naze. Quentin Tarantino pourrait en tirer un court-métrage, avec de plein de zombies et un combat final homérique…

• Herbert West – Reanimated est un produit du fandom lovecraftien des années 1980. Robert M. Price a organisé deux round-robins autour d’Herbert West, reprenant le concept du feuilleton en six épisodes, chaque épisode étant rédigé par un auteur différent. Reanimated démarre là juste à la fin du récit de Lovecraft. West a été tué par ses créatures. Son fidèle assistant tente de retrouver une vie normale, mais West pour revient lui pourrir la vie. L’ensemble est inégal, mais surtout très mouvementé, chaque auteur ayant à cœur de laisser un coup de théâtre en héritage à son successeur. Sans surprise, la surenchère débouche très vite sur du Grand-Guignol. Le résultat fait parfois ricaner, mais reste un honnête produit d’amateurs érudits, dont certains sont passés professionnels par la suite.

• Charnel House, de Tim Curran, raconte les déprédations de West du point de vue d’un observateur extérieur. Totalement dénuée de la moindre surprise jusque dans sa chute, elle arrive quand même à créer une atmosphère malsaine à souhait. Au final, elle est proche de ce que je recherchais, en supposant que j’aie recherché quelque chose dans ce recueil, à part un fix de formol.

The Crypt in Key West, de David Bernard, nous explique comment l’ex-associé de West s’intéresse au cas d’un autre réanimateur. Je suis bon public et je reconnais qu’elle se laisse lire, mais dans un coin de ma tête, une petite voix lancinante répétait « mais pourquoi ? pourquoi est-ce que tu t’infliges ça ? » J’aurais dû l’écouter.

• Herbert West – Reincarnated est le second round-robin produit par Robert M. Price dans les années 80, et la suite directe du précédent. Cette fois, on suit Herbert West en Allemagne, où les nazis sont très demandeurs de soldats ressuscités pour combattre sur le front de l’Est. West y devient entre autres choses le mentor du Dr Mengele. Disons-le, il y a sans doute moyen d’écrire une bonne histoire d’horreur surnaturelle située à Auschwitz, mais les responsables des deux chapitres qui s’y déroulent ne l’ont pas trouvé, et intituler l’un des deux La chose surgie des fours est… bon, passons, je ne vais pas m’énerver, il faut que je surveille ma tension. Trop de surenchère ayant tué la surenchère, l’intérêt du lecteur succombe à son tour, et il ne se réveille pas, même dans les derniers chapitres, où West part réanimer les extraterrestres de la zone 51.

Cruel Heaven, de Rick Lai, est encore un hybride bizarre, où l’associé du Dr West est réquisitionné par un méchant échappé de Robert Howard pour ressusciter un autre méchant encore pire. Comprendre les tenants et les aboutissants de l’histoire exige d’avoir lu les aventures de Steve Harrison et au moins une autre nouvelle d’Howard[4]. Sans ces bases, c’est juste un brouet où surnagent des trucs incompréhensibles. Dans sa préface, Peter Rawlik parle « d’érudition ». Elle est incontestable, mais y injecter quelques millimots de vulgarisation en intraveineuse aurait été une bonne idée.

• Blood and Guts in High School, d’Ed Morris, conclut le recueil avec une histoire d’ados contemporains, où l’arrière-petit-neveu d’Herbert West découvre du sérum de résurrection et s’en sert. Verdict : « beuf », mi-bof, mi-beuh.

Le bilan tient en trois mots : « fuyez, pauvres fous ! » Vous pouvez trouver Herbert West – Reanimator dans plein d’autres crémeries. Les deux round-robins qui sont censés raconter l’histoire officielle de West sont une paire de Frankenstein patauds qui carburent au mauvais goût. Quant au reste, avec de l’indulgence, Thought He Was a Goner, A Man Called West et Charnel House sont passables. Le reste est indigeste au possible.

(Édité par Chaosium, réf. CHA 6063, environ 15 €)



[1] J’ai des noms.
[2] À ma connaissance, mais je n’ai pas tout lu.
[3] Ce mot est © Mehdi Sahmi.
[4] Et peut-être d’autres, parce que j’ai quand même eu l’impression de ne pas tout capter.

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