Nous avons tous peur, de B. R. Bruss (1956)

Épisode 34

Numéro 30 de la collection Fantastique / SF / Aventures (1981)




En deux mots

Un jeune journaliste canadien est envoyé par son rédacteur en chef dans une petite ville du Saskatchewan. Mille cinq cents habitants isolés à deux cents kilomètres de la gare la plus proche, un lac, des champs, une forêt dense et un mystère : la ville se dépeuple peu à peu, sans raison apparente. Les gens s’en vont, s’installent ailleurs et ne parlent pas de ce qui les a poussés à déménager. Une fois arrivé sur place, notre héros découvre que toute la population de la ville, rongée par une sourde terreur, perd peu à peu la raison. Pourquoi ? Ou… à cause de qui ?


Pourquoi c’est bien

Court, nerveux, bien écrit, difficile à lâcher. Qu’ajouter à cette première liste de qualités ?
Ah si, « facile à transposer ». Le fin fond des plaines canadiennes est juste une toile peinte, à grands traits et sans souci d’authenticité, mais la même histoire pourrait se dérouler dans n’importe quel coin reculé de n’importe quel pays, à n’importe quelle époque.
Enfin, sans avoir l’air d’y toucher, Nous avons tous peur est une jolie petite étude du comportement d’un groupe sous pression. Tout le monde est tendu et angoissé, mais tout le monde ne perd pas la tête au même rythme. Au jour le jour, la menace la plus redoutable vient de ses voisins ou de sa famille, pas forcément du surnaturel…


Pourquoi c’est lovecraftien

Je ne vais pas déflorer l’histoire, mais le narrateur en sort persuadé que la ville a été « le lieu d’action de puissances incompréhensibles et qui dépassent l’homme – ces puissances qui parfois s’abattent en un point ou un autre du globe, y soulèvent des drames de boue, de sang et de terreur, et ne laissent en se retirant que des ruines et des larmes ».
Si vous voulez donner un peu de profondeur de champ à tout ça, insérer la puissance incompréhensible en question dans une mythologie n’exige absolument aucun effort. Et quand je dis « une mythologie », je ne pense pas qu’à Cthulhu & Cie, le même exercice marcherait avec le christianisme, le folklore indien ou pratiquement n’importe quoi.
Stylistiquement parlant, Bruss se place aux antipodes de Lovecraft, et pourtant, il chasse sur les mêmes terres. En bon journaliste, son héros s’efforce de présenter les faits aussi objectivement que possible… or, au final, dans sa sécheresse, son compte rendu provoque le même malaise que les indicibles empilements d’adjectifs de l’homme de Providence.


Pourquoi c’est appeldecthulhien

Ça ne l’est qu’à moitié, en fait. Notre héros enquête, va voir le médecin local, le pasteur, les notables, bref il joue les investigateurs… sauf qu’il ne trouve rien. Assez vite, il est absorbé par d’autres préoccupations – il devient lentement fou, comme les autres. Un scénario de jeu de rôle structuré de cette manière risquerait fort de rendre les joueurs fous de frustration avant de les pousser à quitter la table, écœurés. Comment ça, une enquête qui ne sert à rien ? Hérésie !
Malgré tout, notre héros comprend (ou croit comprendre) des choses, il a des soupçons, il passe même à l’action sur la fin… mais il achève son récit sans aucune certitude. Sa solution semble avoir fonctionné. Est-ce parce qu’il a vraiment trouvé le coupable, ou parce que la « puissance incompréhensible » a décidé de partir de son propre chef ?
Ce flou vous dérange ? Prenez une seconde pour le comparer à l’habituel « bon, alors, comme d’habitude, le monstre habite dans le grenier des Whateley, il faudra aussi les liquider en passant, qui a la dynamite ? » Croyez-moi, ce petit bain d’incertitude est rafraîchissant au possible !

Bilan

Nous avons tous peur est considéré comme l’un des meilleurs B. R. Bruss. Je n’en ai pas lu assez pour juger, mais en tout cas, c’est un bon roman fantastique d’un auteur qui mérite vraiment d’être redécouvert. Pour le coup, je conseille sans hésiter, et d’autant plus volontiers qu’il a été réédité en 2007, et ne sera donc pas trop difficile à trouver.

Commentaires

  1. Comme j'ai de la famille en Saskatchewan, je vais essayer de le trouver.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire