Épisode 21
Numéro 22 de la collection Fantastique / SF / Aventure,
1980.
En deux mots
Plus de quarante ans après la mort de Lovecraft, Robert Bloch
revient chasser sur les terres de son mentor.
Et donc, trois narrateurs successifs se retrouvent exposés à
l’indicible vérité : tout ce qu’à écrit Lovecraft est vrai, toutes les
saloperies du mythe de Cthulhu sont là, dehors, prêtes à remettre l’humanité à
sa véritable place. En dehors de l’héroïne du deuxième segment, le plus long, le
lecteur se fout un peu de leur sort, et il a bien raison, parce qu’ils
finissent tous mal.
Faut pas s’attacher.
Pourquoi c’est bien
Lors de mes huit ou dix premières lectures, dans les années 80,
à l’époque où j’étais un adolescent obsessionnel et un jeune rôliste découvrant L’Appel
de Cthulhu, je l’avais trouvé formidable.
Relu aujourd’hui, avec presque trente ans de décalage, mon
regard a changé. J’ai pris du plaisir à le redécouvrir, mais les faiblesses
invisibles pour un lecteur de quinze ans sont devenues douloureusement apparentes.
À l’époque, Bloch avait pris le pari (courageux) d’envoyer le
mythe de Cthulhu dans le présent et, pour le dernier segment, dans un avenir
proche. Cela lui permet d’envoyer ses héros mourir aux quatre coins du
Pacifique sud après un court voyage en avion plutôt que de leur infliger une
longue traversée en bateau.
L’ennui, c’est que certaines références, qui devaient paraître
toutes neuves à l’époque de Starsky et
Hutch, ont mal vieilli. Entendre Nyarlathotep évoquer von Daniken et les
« chariots des dieux », ça fait bizarre aujourd’hui.
Le choix d’une optique « polar / thriller », avec une
narration rapide, nerveuse et beaucoup de dialogues, est logique de la part
d’un Bloch qui a passé sa vie à écrire des polars et des scénarios de films. Il
fonctionne… par endroits. À d’autres moments, on a l’impression de voir un film
projeté en accéléré. Quant aux rares périodes calmes, des figurants destinés à
mal finir les emploient à résumer Lovecraft
pour les nuls au héros. À la troisième fois, disons-le, ça lasse.
Et même en dehors de ces petits cours, Bloch noie le pauvre
lecteur sous des références aux nouvelles de Lovecraft – peut-être pas à toutes, mais on a l’impression que
c’était l’objectif qu’il s’était fixé et de toute façon, vers la vingtième, on
arrête de compter. L’héroïne, poursuivie dans un tunnel par des rats, pense aux
Rats dans les murs. Était-ce
indispensable, sachant qu’au bout du compte, un rat est un rat et ces rats ne
sont pas ceux des Rats dans les murs ?
Après, je ne suis pas le lecteur type auquel devait penser
Bloch, à savoir un gars qui n’aurait jamais entendu parler de Lovecraft. Vues
par les yeux d’un novice, ces références qui m’assomment donnent peut-être de
la profondeur, allez savoir.
Pourquoi c’est lovecraftien
Plus lovecraftien que ça, tu ne peux pas. Même August Derleth ne
pourrait pas s’aligner, parce que contrairement à Derleth, Bloch comprenait le
propos de Lovecraft et n’a jamais essayé de le réarranger à sa sauce. La
conclusion en apporte une preuve… concluante, justement.
Reste que Retour à Arkham est
tellement lovecraftien qu’il évolue par instants à la limite du comique, avec
les petits héros et leur entourage qui se font dézinguer les uns après les
autres.
Les seuls moments où Bloch sort un peu de l’ombre de son maître
sont ceux où il fait intervenir le « révérend Nye », un chef de secte
prêchant l’évangile des Grands Anciens à des jeunes gens déboussolés. Personne
ne sera surpris d’apprendre que c’est en réalité Nyarlathotep, j’imagine ?
Là, pendant quelques pages, Bloch se souvient qu’il a consacré beaucoup de
temps à Nyarlathotep dans les années 30 et 40, et revient à ses propres
sources…
Pourquoi c’est appeldecthulhien
Sorti une poignée d’années avant L’Appel de Cthulhu, Retour à
Arkham a été l’une des sources de Sandy Petersen, comme tout le reste du
corpus lovecraftien de Bloch. At Your
Door, une campagne des années 90, fait des emprunts discrets, mais directs,
à ce roman.
En tant que roman, Retour
à Arkham ne fonctionne pas bien. Or, ses défauts sont aussi ceux de
nombreux scénarios de L’Appel de Cthulhu.
• L’excès de
références. Prenez Le modèle de
Pickman, La Peur qui rôde, Le témoignage de Randolph Carter et Celui qui chuchotait dans les ténèbres.
Enfilez leurs scènes clés comme un collier de perles. Vous aurez quelque chose
de spectaculaire en apparence… mais qui, en réalité, sera une collection de
gimmicks. Beaucoup de scénarios fonctionnent comme ça… et là, je viens de vous
résumer la première partie de Retour à
Arkham (sauf que Bloch est assez doué pour ne pas en faire que des gimmicks).
• L’excès de
définition. Si tout ce qui pourrait créer de la tension ou de la peur est
déjà référence, expliqué et disséqué dans une nouvelle de Lovecraft (Retour à Arkham) ou dans le livre de
règles (L’Appel de Cthulhu),
l’émotion voulue est systématiquement désamorcée. Elle est remplacée par
l’analyse, l’intellectualisation… Bref, tout ce dont Lovecraft ne voulait pas.
• Le taux de mortalité
excessif. Retour à Arkham est un
roman où tout le monde meurt. Beaucoup de scénarios sont rédigés dans l’optique
du « ne laissez aucun survivant », et encore plus de Gardiens des
arcanes s’appliquent à massacrer tout le monde même quand ce n’est pas rédigé
comme ça. Cela engendre un pénible « effet de discontinuité » dans le
roman. En plus de prendre connaissance du mythe de Cthulhu, les héros
successifs découvrent le sort de leurs prédécesseurs, que nous connaissons
déjà. Que ceux qui n’ont jamais eu ce problème en campagne lèvent la main !
Restent deux différences notables entre le roman et le
jeu :
• La notion de
groupe. Les personnages de Bloch se font liquider successivement et ne
trouvent que des alliés de circonstance.
• La place de
Lovecraft. L’Appel de Cthulhu a
toujours soigneusement évité de trancher sur la manière dont Lovecraft
s’inscrivait dans le mythe de Cthulhu. Existe-t-il seulement dans l’univers du
jeu ? Bloch choisit de le mettre en avant, de l’impliquer dans son
histoire et, dans le troisième segment, de discuter de la place de son œuvre
dans un monde où les Grands Anciens existent. C’est une démarche intéressante.
Pourquoi c’est deltagreenien
Retour à Arkham est aussi un roman où l’on croise une organisation secrète
réunissant les meilleurs cerveaux de toutes les disciplines pour lutter contre
le Mythe, des agents du FBI qui essayent d’infiltrer un culte dirigé par
Nyarlathotep, et ainsi de suite, bombes atomiques comprises.
Tout cela a un petit côté proto-Delta Green qui fera dresser l’oreille à certains joueurs.
Bilan
À la fin des années 70, Robert Bloch était l’un des derniers
survivants du premier cercle lovecraftien, celui des amis et correspondants de
l’homme de Providence. Retour à Arkham
était son adieu à sa jeunesse, son dernier coup de chapeau à son mentor et, à
ce titre, il a droit à tout mon respect.
En tant que roman, soyez prévenus : il a des faiblesses et
fonctionne mieux sur les esprits jeunes et impressionnables que sur les vieux
routiers du lovecraftisme.
Oh, et pour conclure…
Reste une question que cette chronique n’a pas vocation à
trancher, mais qui mériterait d’être étudiée.
Bloch a écrit Retour à
Arkham à la fin des années 70. Ce livre est un passage de témoin aux
générations suivantes. Dès le début des années 80, après un très long
cheminement souterrain, Cthulhu et ses petits camarades sont entrés dans la
« pop culture ».
Quel a été le rôle de ce roman dans l’évolution qui nous a
conduit aux excès modernes où tout le monde quiquestarte d’indicibles kitscheries
en y collant une étiquette « cthulhu » ? Je le soupçonne d’en
avoir été l’un des jalons.
PS : J’ai retrouvé des échos de Retour
à Arkham dans ma trilogie Étoiles
propices, parue dans les trois premiers numéros de l’incarnation actuelle
de Casus Belli. Comme quoi, même
trente ans après, on n’est jamais à l’abri d’un retour d’acide.
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