Retour à Arkham, de Robert Bloch (1979)



Épisode 21


Numéro 22 de la collection Fantastique / SF / Aventure, 1980.





En deux mots

Plus de quarante ans après la mort de Lovecraft, Robert Bloch revient chasser sur les terres de son mentor.

Et donc, trois narrateurs successifs se retrouvent exposés à l’indicible vérité : tout ce qu’à écrit Lovecraft est vrai, toutes les saloperies du mythe de Cthulhu sont là, dehors, prêtes à remettre l’humanité à sa véritable place. En dehors de l’héroïne du deuxième segment, le plus long, le lecteur se fout un peu de leur sort, et il a bien raison, parce qu’ils finissent tous mal.

Faut pas s’attacher.


Pourquoi c’est bien

Lors de mes huit ou dix premières lectures, dans les années 80, à l’époque où j’étais un adolescent obsessionnel et un jeune rôliste découvrant L’Appel de Cthulhu, je l’avais trouvé formidable.

Relu aujourd’hui, avec presque trente ans de décalage, mon regard a changé. J’ai pris du plaisir à le redécouvrir, mais les faiblesses invisibles pour un lecteur de quinze ans sont devenues douloureusement apparentes.

À l’époque, Bloch avait pris le pari (courageux) d’envoyer le mythe de Cthulhu dans le présent et, pour le dernier segment, dans un avenir proche. Cela lui permet d’envoyer ses héros mourir aux quatre coins du Pacifique sud après un court voyage en avion plutôt que de leur infliger une longue traversée en bateau.

L’ennui, c’est que certaines références, qui devaient paraître toutes neuves à l’époque de Starsky et Hutch, ont mal vieilli. Entendre Nyarlathotep évoquer von Daniken et les « chariots des dieux », ça fait bizarre aujourd’hui.

Le choix d’une optique « polar / thriller », avec une narration rapide, nerveuse et beaucoup de dialogues, est logique de la part d’un Bloch qui a passé sa vie à écrire des polars et des scénarios de films. Il fonctionne… par endroits. À d’autres moments, on a l’impression de voir un film projeté en accéléré. Quant aux rares périodes calmes, des figurants destinés à mal finir les emploient à résumer Lovecraft pour les nuls au héros. À la troisième fois, disons-le, ça lasse.

Et même en dehors de ces petits cours, Bloch noie le pauvre lecteur sous des références aux nouvelles de Lovecraft – peut-être pas à toutes, mais on a l’impression que c’était l’objectif qu’il s’était fixé et de toute façon, vers la vingtième, on arrête de compter. L’héroïne, poursuivie dans un tunnel par des rats, pense aux Rats dans les murs. Était-ce indispensable, sachant qu’au bout du compte, un rat est un rat et ces rats ne sont pas ceux des Rats dans les murs ?

Après, je ne suis pas le lecteur type auquel devait penser Bloch, à savoir un gars qui n’aurait jamais entendu parler de Lovecraft. Vues par les yeux d’un novice, ces références qui m’assomment donnent peut-être de la profondeur, allez savoir.


Pourquoi c’est lovecraftien

Plus lovecraftien que ça, tu ne peux pas. Même August Derleth ne pourrait pas s’aligner, parce que contrairement à Derleth, Bloch comprenait le propos de Lovecraft et n’a jamais essayé de le réarranger à sa sauce. La conclusion en apporte une preuve… concluante, justement.

Reste que Retour à Arkham est tellement lovecraftien qu’il évolue par instants à la limite du comique, avec les petits héros et leur entourage qui se font dézinguer les uns après les autres.

Les seuls moments où Bloch sort un peu de l’ombre de son maître sont ceux où il fait intervenir le « révérend Nye », un chef de secte prêchant l’évangile des Grands Anciens à des jeunes gens déboussolés. Personne ne sera surpris d’apprendre que c’est en réalité Nyarlathotep, j’imagine ? Là, pendant quelques pages, Bloch se souvient qu’il a consacré beaucoup de temps à Nyarlathotep dans les années 30 et 40, et revient à ses propres sources…


Pourquoi c’est appeldecthulhien

Sorti une poignée d’années avant L’Appel de Cthulhu, Retour à Arkham a été l’une des sources de Sandy Petersen, comme tout le reste du corpus lovecraftien de Bloch. At Your Door, une campagne des années 90, fait des emprunts discrets, mais directs, à ce roman.

En tant que roman, Retour à Arkham ne fonctionne pas bien. Or, ses défauts sont aussi ceux de nombreux scénarios de L’Appel de Cthulhu.

• L’excès de références. Prenez Le modèle de Pickman, La Peur qui rôde, Le témoignage de Randolph Carter et Celui qui chuchotait dans les ténèbres. Enfilez leurs scènes clés comme un collier de perles. Vous aurez quelque chose de spectaculaire en apparence… mais qui, en réalité, sera une collection de gimmicks. Beaucoup de scénarios fonctionnent comme ça… et là, je viens de vous résumer la première partie de Retour à Arkham (sauf que Bloch est assez doué pour ne pas en faire que des gimmicks).

• L’excès de définition. Si tout ce qui pourrait créer de la tension ou de la peur est déjà référence, expliqué et disséqué dans une nouvelle de Lovecraft (Retour à Arkham) ou dans le livre de règles (L’Appel de Cthulhu), l’émotion voulue est systématiquement désamorcée. Elle est remplacée par l’analyse, l’intellectualisation… Bref, tout ce dont Lovecraft ne voulait pas.

Le taux de mortalité excessif. Retour à Arkham est un roman où tout le monde meurt. Beaucoup de scénarios sont rédigés dans l’optique du « ne laissez aucun survivant », et encore plus de Gardiens des arcanes s’appliquent à massacrer tout le monde même quand ce n’est pas rédigé comme ça. Cela engendre un pénible « effet de discontinuité » dans le roman. En plus de prendre connaissance du mythe de Cthulhu, les héros successifs découvrent le sort de leurs prédécesseurs, que nous connaissons déjà. Que ceux qui n’ont jamais eu ce problème en campagne lèvent la main !

Restent deux différences notables entre le roman et le jeu :

• La notion de groupe. Les personnages de Bloch se font liquider successivement et ne trouvent que des alliés de circonstance.

• La place de Lovecraft. L’Appel de Cthulhu a toujours soigneusement évité de trancher sur la manière dont Lovecraft s’inscrivait dans le mythe de Cthulhu. Existe-t-il seulement dans l’univers du jeu ? Bloch choisit de le mettre en avant, de l’impliquer dans son histoire et, dans le troisième segment, de discuter de la place de son œuvre dans un monde où les Grands Anciens existent. C’est une démarche intéressante.


Pourquoi c’est deltagreenien

Retour à Arkham est aussi un roman où l’on croise une organisation secrète réunissant les meilleurs cerveaux de toutes les disciplines pour lutter contre le Mythe, des agents du FBI qui essayent d’infiltrer un culte dirigé par Nyarlathotep, et ainsi de suite, bombes atomiques comprises.

Tout cela a un petit côté proto-Delta Green qui fera dresser l’oreille à certains joueurs.


Bilan

À la fin des années 70, Robert Bloch était l’un des derniers survivants du premier cercle lovecraftien, celui des amis et correspondants de l’homme de Providence. Retour à Arkham était son adieu à sa jeunesse, son dernier coup de chapeau à son mentor et, à ce titre, il a droit à tout mon respect.

En tant que roman, soyez prévenus : il a des faiblesses et fonctionne mieux sur les esprits jeunes et impressionnables que sur les vieux routiers du lovecraftisme.


Oh, et pour conclure…

Reste une question que cette chronique n’a pas vocation à trancher, mais qui mériterait d’être étudiée.

Bloch a écrit Retour à Arkham à la fin des années 70. Ce livre est un passage de témoin aux générations suivantes. Dès le début des années 80, après un très long cheminement souterrain, Cthulhu et ses petits camarades sont entrés dans la « pop culture ».

Quel a été le rôle de ce roman dans l’évolution qui nous a conduit aux excès modernes où tout le monde quiquestarte d’indicibles kitscheries en y collant une étiquette « cthulhu » ? Je le soupçonne d’en avoir été l’un des jalons.


PS : J’ai retrouvé des échos de Retour à Arkham dans ma trilogie Étoiles propices, parue dans les trois premiers numéros de l’incarnation actuelle de Casus Belli. Comme quoi, même trente ans après, on n’est jamais à l’abri d’un retour d’acide.

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