Qu’était-ce ?, de Fitz James O’Brien (vers 1860)


Épisode 10

Numéro 13 de la collection Fantastique / SF / Aventure, 1980

(Première édition française 1950)




En deux mots

Un recueil de sept nouvelles fantastiques de Fitz James O’Brien, journaliste américain d’origine irlandaise, dont la période de production va de 1858 à sa mort en 1862, des suites de blessures reçues pendant la guerre de Sécession.

O’Brien est un continuateur de Poe, et comme lui, il œuvre aux confins du fantastique et du policier. Ainsi, La Lentille de diamant, la plus longue nouvelle du recueil, commence par l’une des premières (la première ?) description d’un « crime parfait » avant de basculer dans l’étrange.


Pourquoi c’est bien

Déjà, un premier bon point : c’est bien écrit. Je n’ai pas d’avis sur le texte original, bien entendu, mais la traduction de Jacques Papy est agréable à lire.

O’Brien hésite moins que Poe à se servir de l’arsenal du fantastique de son époque, pas encore complètement dégagé du roman gothique. En plus de fantômes classiques, on croise donc des Bohémiens voleurs et assassins d’enfants, du laudanum et du haschisch, un bossu, un hypnotiseur, une héritière ruinée, une séance de spiritisme, des trésors perdus, et ainsi de suite.

De temps en temps, il nous parle de sa ville, ce qui nous vaut la description d’un New York rural, où l’on trouve des coteaux verdoyants qui descendent vers l’East River aux alentours de la 2e avenue ; où Coney Island est une île déserte fréquentée par de rares baigneurs ; où Madison Square est un lieu-dit où les riches se font construire des maisons de campagne, et ainsi de suite.

Et puis, il nous offre les inévitables aperçus sur les mentalités de l’époque. Aujourd’hui, quelqu’un qui essayerait de publier un conte où des Bohémiens préparent un massacre d’enfants chrétiens pour la nuit de Noël aurait sans doute du mal à trouver un éditeur. Et des phrases comme « Après tout, qu’était la vie de ce petit Juif par comparaison avec les intérêts de la science ? » feraient tiquer. Mais bon, un petit meurtre n’a pas beaucoup d’importance, puisque « tous les jours on prend des hommes dans les cellules des condamnés à mort pour servir de sujets d’expérience aux chirurgiens. » (Certes, on les exécutait avant, mais rude époque, quand même.)


Pourquoi c’est lovecraftien

Sur les sept, trois nouvelles sont « plus cthulhiennes » que les autres.

Qu’était-ce ? traite d’une hantise qui pourrait aussi bien être une goule invisible. Armé d'un microscope, le narrateur de La Lentille de diamant découvre un autre niveau de réalité et y laisse sa raison. Et celui de La Chambre perdue est confronté à quelque chose qui pourrait bien être un culte, complet avec un investigateur qui le prévient du danger. À moins, bien sûr, que les entités qui lui volent sa chambre ne soient « juste » des fantômes.

Entre nous, il est futile d’exiger d’un auteur qu’il se conforme aux idées de quelqu’un qui est né presque trente ans après sa mort. Mieux vaut prendre ses histoires telles quelles.


Qu’en pensait Lovecraft ?

Lovecraft ne consacre qu’un court paragraphe à O’Brien dans Épouvante et surnaturel en littérature, juste le temps de regretter sa mort prématurée et de le classer parmi les continuateurs de Poe. Il dit du bien de Qu’était-ce ?, affirme (sans preuves) que cette nouvelle a influencé l’écriture du Horla, et mentionne La lentille de diamant.


Pourquoi c’est appeldecthulhien

Les trois nouvelles mentionnées plus haut peuvent servir de germes à de courts scénarios. On peut y ajouter Médée, qui présente un cas de démence et est donc susceptible d’intéresser des investigateurs. Les trois autres histoires, Le Forgeur de merveilles, Le Bohémien et Le Pot de tulipes, sont plus susceptibles de donner des idées aux meneurs de jeu de Maléfices, avec une mention spéciale au Forgeur de merveilles.


Bilan

Edgar Poe ne m’a jamais passionné, et le « premier fantastique américain » me laisse assez froid. Mais si vous voulez de bonnes histoires, représentatives du genre et de l’époque, O’Brien est un choix qui se défend.

Quant à en faire des scénarios… juste entre nous, Maléfices, c'est aussi bien que L'Appel de Cthulhu. Voire mieux, par de nombreux côtés.

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