Tremulus



Tremulus est un énième jeu de rôles pour faire du Lovecraft autour d’une table. Dis comme ça, ce n’est pas engageant, mais c’est la vérité : on ne peut pas dire que le thème de ce jeu respire l’innovation. Là où il se démarque, c’est sur l’approche  mécanique et la construction de ses scénarios. Car Tremulus n’est pas fait pour ressortir vos scénarios signés par Tristan Lhomme. Mais chaque chose en son temps.

La mécanique centrale de Tremulus est simple : quand il faut jeter les dés, le joueur ajoute le résultat de 2d6 à une caractéristique qui varie entre -3 et +3. S’il obtient un total de 6 ou moins, c’est l’échec. S’il fait entre 7 et 9, c’est un magnifique « Oui, mais… » cher à mon cœur. Et s’il fait 10 ou plus, c’est un beau « Oui, et… » qui remplit le joueur de joie. Facile, hein ? Par contre, le truc, c’est que le joueur possède une liste limitée d’actions possibles (appelées Moves). Il peut faire des trucs comme « Act under pressure » (Agir en situation de stress, donc) ou « Poke around » (le bon vieux TOC des familles). Et ces Moves sont écrits noir sur blanc sur sa feuille de personnage. Pire, le joueur ne peut pas en déroger : c’est comme ça, c’est les règles. Par contre, la douzaine de Moves dont il dispose décrit clairement ce qui se passe s’il obtient un 10 ou moins de 6. Il n’y a pas à aller voir dans le livre de règles : c’est explicitement décrit. Du genre « Vous infligez trois points de dégâts » ou « Vous lâchez ce que vous teniez en main ». Le MJ n’a pas à interpréter la règle, il n’a qu’à l’appliquer. Et du coup le joueur connait les risques à l’avance. Il sait que le MJ ne bidouillera pas : c’est officiel, on sait à l’avance comment ça risque de merder si on foire le jet mais aussi ce qu’on peut espérer réaliser si on décroche le pompon. Il y a des Moves généraux que tous les personnages possèdent car ce sont des actions standards, mais chaque type de personnage (la dilettante, l’antiquaire, le dévot…) possède des Moves spécialisés. L’aliéniste peut aider les gens à rationnaliser. Le détective poser des questions sur un PNJ. C’est limpide.

Alors, à quoi sert le MJ maintenant qu’on lui a enlevé une grande partie de son travail en clarifiant au maximum la question des actions tentées par les joueurs ? Et bien on continue à lui faciliter la vie car il ne jettera aucun dé de la partie. En revanche, lui non plus n’est pas libre de faire n’importe quoi comme action. Tout comme les joueurs, il dispose d’une liste de Move dont il ne doit surtout pas s’écarter. Il peut faire des trucs comme séparer les personnages, annoncer un danger à venir, infliger des dégâts… C’est codifié à mort. Mais pas de panique : loin d’être castratrice cette liste d’action fait en vérité le tour complet de la fonction de MJ et permet à ce dernier d’avoir toujours en tête les options qui s’offrent à lui. Sa feuille de Moves agit comme un rappel visuel des possibles. Il ne peut plus dire « Merde, j’y ai pas pensé, j’aurais pu faire ça » car le ça en question est sous son nez tout au long de la partie sous la forme d’une liste claire comme de l’eau de roche. Et du coup, comme son cerveau n’a plus ni à interpréter les règles et ni à se souvenir de ce qu’il peut faire comme actions pour réagir à celles des PJ, il peut se concentrer sur des trucs importants comme le roleplay, l’immersion et l’intrigue. Dingue, non ?

Évidemment, il y a des règles pour faire en sorte que son personnage devienne fou à mesure qu’il lève le voile sur la réalité indicible et les horreurs non-euclidiennes qui tendent des tentacules crachant des couleurs hors du spectre. Parce que c’est Lovecraft : votre alter ego va devenir dingue ou crever la gueule ouverte face à un Profond. On ne va pas se mentir. On peut même faire des rituels, mais c’est loin d’être obligatoire. Ne vous attendez pas à un bestiaire détaillé et à une présentation du Mythe : on est pas là pour là pour ça.

Mais alors, on fait jouer quoi ? Des histoires simples, des trucs de proximité. On débarque dans un village louche, on voit des lueurs étranges dans la forêt… Le MJ dispose de petits outils pour identifier les menaces et constituer des Fronts, c’est-à-dire des suites d’évènements qui vont invariablement mener à une catastrophe si les PJ n’interviennent pas. Genre si une Chose Néantique rampe dans les sous-bois du manoir dont vous venez d’hériter d’un vieil oncle que vous aviez perdu de vue (oui, le dingo de la famille qui passait ses nuits dans ses grimoires), le MJ peut décider qu’il y a 6 étapes. Au début, les PJ entendent des bruits étranges au loin. Par la suite, un promeneur rapporte avoir vu quelque chose d’horrible (mais d’indescriptible). Plus tard, on trouve un sanglier affreusement mutilé. Puis la Chose Néantique fait une sortie en dehors de son antre et kidnappe un enfant en lisière. Elle s’enhardit et tue le groupe de chasseurs qui était parti à la recherche du gamin. Et finalement, elle déboule lors de la soirée dansante de l’amicale catholique du village et dégomme la grande majorité des habitants du coin. Oups. Et en plus de ça, le MJ peut rendre l’histoire plus riche en mettant en place une intrigue parallèle : et si l’amicale était une couverture pour des réunions plus sournoises ? En 6 étapes toujours : au début, les PJ entendent parler des activités de l’amicale. Par la suite, ils rencontrent quelqu’un qui refuse d’aller aux réunions obligatoires. Plus tard, ils reçoivent un message anonyme leur conseillant fermement de s’occuper de leurs oignons. Puis ils surprennent une réunion de l’amicale et comprennent qu’elle n’est pas si catholique. Les membres de l’amicale se mettent en colère et décident de chasser les étrangers du village. Et finalement, ils invoquent la Chose Néantique pour qu’elle tue les PJ.

D’accord, sur le papier ce n’est pas aussi excitant qu’un vieux scénario Casus Belli. Mais ça suffit amplement à foutre la trouille aux joueurs pour peu qu’ils ne soient pas déjà blasés par des nuitées entières à chasser la byakhee au fusil à pompe. Qui plus est le livre de base propose une situation de départ pour ne pas partir en roue libre. En posant quelques questions aux joueurs sur ce qu’ils veulent en matière d’ambiance, le MJ se retrouve de très nombreuses variations thématiques autour d’une petite ville de départ qu’il peut placer où il veut quand il veut (mais les années 20 et 30 sont fortement conseillées). Il y a là aussi une longue liste de secrets à découvrir et de menaces locales. Le MJ n’est jamais pris au dépourvu, il peut aisément se jeter à l’eau.

Dérivation d’Apocalypse World et de Dungeon World, Tremulus ne vous sera d’aucune utilité si vous chercher autre chose que l’Appel de Cthulhu et Trail of Cthulhu pour motoriser les Masques de Nyarlathotep ou L’Affaire Armitage. Ce jeu est fait pour jouer comme dans les nouvelles de Lovecraft : une situation affreuse, une menace qui plane, des secrets lourds de conséquences… Ça passe ou ça casse, mais on ne fait pas une campagne de 6 mois avec. Et c’est tant mieux car l’horreur s’accommode mal de la répétition. Par contre, pour improviser une visite dérangeante dans un village côtier du Maine, pour raconter l’héritage impie d’une famille condamnée ou enquêter sur une bizarre Couleur tombée du ciel, c’est du tout bon.

Il existe d’ailleurs déjà un scénario prêt-à-jouer intitulé The Primrose Path où les PJ sont conviés par un vieux parent pour fêter son 100ème anniversaire dans son manoir aussi délabré que sinistre. Il y a quelque chose de pas net à la cave, de la malédiction dans l’air et un majordome qui fait peur. Ça va forcément mal virer. Et il n’y a pas de conclusion fournie. Les PJ improviseront-ils un rituel ? Ou vont-ils sacrifier quelqu’un ? Aux joueurs de décider.

Commentaires

  1. Ca m'intrigue. Tel que je ne vois pas bien si c'est tentant ou pas.

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